"Et je
comprends que ce don ou cette grâce de penser de vaste façon, et
dans de nombreuses combinaisons que cette manière magnifique et
singulièrement bénéfique de regarder le monde pour ainsi dire sous
différentes facettes, seul peut en jouir celui qui a accueilli un
jour en lui, en faisant sa propre expérience, les nombreux pays, les
nombreux hommes et les nombreuses époques que les livres
accueillent, et qui a alors été bouleversé de comprendre à quel
point est étroite la vision du monde de qui s'interdit de lire. (...) Car,
lorsque nous lisons, que faisons-nous sinon vivre intérieurement
avec des êtres étrangers, sinon voir avec leurs yeux, penser avec
leurs cerveaux? Et je me souvins alors toujours plus vivement, et
avec toujours plus de gratitude, ému et reconnaissant, des bonheurs
innombrables ressentis en compagnie des livres. Je me souvins de
décisions importantes, que je devais à des livres, de rencontres
avec des écrivains depuis longtemps disparus, qui étaient pour moi
plus importants que nombre d'amis et de femmes ; je me souvins de
nuits d'amour avec des livres, où le sommeil, à force de plaisir,
avait été oublié; et plus je réfléchissais, plus je comprenais
que notre univers spirituel est fait de millions de monades
d'impressions uniques, dont une minorité seulement est le fruit du
vu et du vécu — mais dont la grande majorité est due aux livres,
au lu, au transmis, à l'appris."
Stefan
Zweig, Das
Buch als Eingang zur Welt,
in Volker Weidermann, Ostende
1936. Un Été avec Stefan Zweig
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